Reporterre | 10 juillet 2025 | Monde
Alors que le Liban et la Syrie se relèvent de guerres destructrices, ils sont frappés par une terrible sécheresse. L’agriculture est au point mort, mettant en péril la relance d’après-guerre et les espoirs de stabilité.
Halfaya (Syrie), reportage
Un soleil de plomb écrase tout ce qui bouge. Ici, à Halfaya, petite bourgade au sud d’Alep (Syrie), un fléau s’est abattu sur la vie de ses habitantes et habitants — déjà difficile en temps normal. « On n’a presque pas vu de pluie cette année, c’est terrible. Mes champs sont asséchés alors que j’avais beaucoup investi, je vais jeter l’éponge et les laisser en pâture à des troupeaux de chèvres », se désole Iqtisam Mohammad, qui a une cinquantaine d’années, au comptoir de la petite épicerie qu’elle a aménagée à l’entrée de sa maison.
Elle vient de rentrer d’un long exil forcé par la guerre. Son village a été témoin de violents combats entre des groupes rebelles et l’armée de Bachar al-Assad, puis occupé par des milices loyalistes pendant les quinze ans de guerre civile syrienne. Celle-ci a pris fin le 8 décembre 2024 avec la chute d’al-Assad.
Ses soldats et miliciens ont pillé les villages des zones rurales de Syrie, revendant leur butin sur le marché noir. « Les soldats ont tout pris : les câbles électriques, les portes et fenêtres, les meubles, même les canaux d’irrigation et les puits », fulmine-t-elle, ses enfants à ses côtés.
Damas « au bord d’une catastrophe environnementale et climatique »
Alors qu’elle était revenue reconstruire sa vie et réemménager dans sa maison meurtrie, elle a vu ses espoirs s’évaporer comme l’eau de ses plants. Celle qui possède des terrains doit aujourd’hui travailler comme main d’œuvre agricole pour 3 euros par jour auprès d’agriculteurs qui ont encore de l’eau.
D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Syrie vit son pire épisode de sécheresse en soixante ans, avec 40 % de pluviométrie de moins que les années précédentes. Tous les gouvernorats semblent affectés, « augmentant encore la pression sur un pays qui se remet déjà de cinquante ans de dictature et d’écocide », explique Mark Mohammad, activiste écologiste et étudiant en ingénierie énergétique dans la capitale.
« Damas est confrontée à l’un de ses plus graves défis en matière de sécurité de l’eau. L’état d’urgence a été décrété pour la ville, qui est déjà au bord d’une catastrophe environnementale et climatique, avec des coupures d’eau supplémentaires », dit-il à Reporterre via la messagerie WhatsApp.

C’est ce que confirme également Mohammad Qais, journaliste environnemental syrien. « La rivière Barada, où j’allais nager enfant, est presque à sec — or, c’est elle qui alimente l’essentiel de l’eau potable de Damas, s’alarme-t-il. Pour les nouvelles autorités, il y a urgence à prendre cette situation au sérieux, notamment en promouvant un développement urbain plus égalitaire, pour faire retomber le stress hydrique de Damas. »
Il constate que les autorités syriennes n’ont jamais vu l’environnement comme leur priorité. En attendant, les retombées sont catastrophiques. Sur la côte de Lattaquié, pourtant riche en eaux, des feux de forêt monstres font des ravages. Les pertes de récoltes de blé avoisinent les 75 %, l’insécurité alimentaire sévère touche environ 14,5 millions de personnes et mettent le nouveau gouvernement d’Ahmed el-Cheraa face à un défi environnemental important.
Deux zones agricoles importantes paralysées par les combats
Dans un Moyen-Orient qui se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, les catastrophes climatiques ne connaissent pas de frontières. Au Liban aussi, pays voisin, l’inquiétude est forte. « On a vécu l’hiver le plus sec depuis vingt ans, avec notamment une perte de 40 à 70 % de la couverture neigeuse », explique Yasmine Jabali, professeure adjointe à l’université de Balamand (Nord-Liban) et autrice d’un rapport sur la sécheresse.
Le Liban se remet lui d’une guerre ayant fait plus de 4 000 morts depuis octobre 2023, avec des bombardements sporadiques toujours en cours. Le Sud-Liban et la vallée de la Bekaa, les deux zones agricoles les plus importantes du pays, ont été paralysées par les combats — elles tablaient sur une récolte estivale fertile pour se remettre d’aplomb.

Or, d’après Jabali, l’agriculture libanaise souffre d’une « réduction des rendements des pommes, bananes et avocats jusqu’à 40 % et une réduction de l’utilisation de l’irrigation de 60 % ». Le nouveau gouvernement libanais encourage des mesures comme l’irrigation au goutte-à-goutte. Sera-t-il à la hauteur ?